Depuis la chute du régime d’al-Assad le 8 décembre dernier l’arrivée au pouvoir d’al-Chaara avait été saluée par la France qui y voyait la fin d’un régime sanguinaire. Bachar al-Assad avait su résister pendant toutes ces dernières années de guerre grâce à un soutien sans faille de la Russie. Le chef de la diplomatie française avait été dépêché à Damas dès sa destitution pour exprimer tout le soutien de la France à ce nouveau régime. Bien que le passé terroriste de ce chef du gouvernement intérimaire n’échappe à personne on se plaisait à espérer au Quai d’Orsay que la Syrie se trouvait à l’aube d’un renouveau démocratique. Les premiers mois de ce mandat semblent ne pas remplir toutes ces espérances.
Bilan des violences depuis le 8 mars
Les groupes armés rebelles qui ont déferlé sur Damas depuis la frontière turque sans rencontrer de vraies résistances et libérer la Syrie du joug al-Assad bénéficient encore à ce jour d’une grande autonomie dans le pays. Les modes d’actions terroristes de ces groupes armés ont rapidement occulté la nécessité d’apporter un renouveau démocratique au pays comme semblait l’afficher al-Charaa.
Les premiers à faire les frais de ces massacres sont les chrétiens et les alaouites, ethnie de la famille Al-Assad. Plus de 1000 morts sont déjà recensés dont au moins 700 civils alaouites avec des exécutions sommaires dans les provinces côtières de Lataquié, Tartous. Les montagnes environnantes et bastions historiques de la minorité alaouite sont principalement visés dans les villes de Baniyas, Jablé, Sheer, Mukhtariyeh et Haffah.
Ce sont des milliers de combattants issus d’anciennes factions rebelles et djihadistes du nord qui ont été déployés sur la bande méditerranéenne de la Syrie. Les loyalistes pro-Assad ont tendu des embuscades face à ces rebelles mais le ratio étant en défaveur des loyalistes il s’en est suivi des représailles disproportionnées débouchant sur des massacres à ciel ouvert dans les villes et villages.
Enjeux stratégiques majeurs
Il s’agit de la première crise majeure depuis la chute d’al-Assad en décembre 2024, révélant les limites du contrôle territorial du gouvernement. Le chaos qui se fait jour alors que les médias occidentaux et français restent atones sur ces massacres tend à démontrer l’incapacité du régime à contrôler les milices théoriquement sous son commandement.
On assiste une nouvelle fois aux schémas bien connus dans ces organisations terroristes où des chefs de factions rebelles sèment la terreur par la force des armes imposant un prosélytisme islamiste radical. Ces flambées de violences pourraient bien saper les efforts de stabilisation de la Syrie présentés par son président intérimaire Ahmad al-Chaara et compromettre sa crédibilité internationale si tenté qu’il soit vraiment sincère dans cette démarche. Cette situation délétère pourrait aussi accélérer les tendances séparatistes des régions à minorités (kurdes, druzes) et pourrait ouvrir de nouveaux sites d’affrontements.
Quid des relations avec les anciens protecteurs
La Russie : pragmatisme et préservation des acquis
La Russie adopte une approche pragmatique pour maintenir son influence en Syrie malgré la chute d’Assad en décembre 2024. Moscou a rapidement établi un contact avec le nouveau leader syrien al-Charaa, lors d’un appel téléphonique en février dernier. Durant cet échange, al-Charaa a souligné les « liens stratégiques forts » entre les deux pays, signalant une volonté de continuité des relations.
La priorité absolue de Moscou est de sécuriser ses installations militaires stratégiques :
- La base navale de Tartous sur la côte méditerranéenne
- La base aérienne de Khmeimim dans la province de Lattaquié
Ces bases représentent les seules implantations militaires russes hors de l’ancien espace soviétique et sont cruciales pour la projection de la puissance russe en Méditerranée orientale. Le Kremlin a d’ailleurs clairement affirmé sa « position de principe en faveur de l’unité, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’État syrien ».
Face aux récentes violences dans les régions alaouites, la Russie a déclaré être « en contact avec d’autres pays sur la question syrienne » et vouloir voir une « Syrie unie, prospère et amicale ». Cette posture diplomatique vise à préserver ses intérêts tout en s’adaptant à la nouvelle réalité politique.
L’Iran : perte stratégique majeure et tentatives de déstabilisation
Pour Téhéran, la chute d’Assad représente un revers géopolitique considérable. L’Iran a perdu :
- Un allié crucial dans son « axe de résistance »
- Son corridor terrestre reliant ses proxys en Irak et au Liban
- Sa capacité de projection de puissance vers la Méditerranée
Face à cette situation, l’Iran semble adopter une stratégie de déstabilisation. Selon Phillip Smyth, expert des milices chiites, Téhéran « désirait une réaction excessive » du gouvernement transitoire syrien et « est heureux que cela ait été déclenché », car cela démontre que l’Iran « peut provoquer des perturbations massives » en Syrie.
L’Iran s’appuie sur des figures clés de la résistance pro-Assad formées par les Gardiens de la révolution islamique (CGRI) :
- Le général Suhail al-Hassan
- Muqdad Fatiha, fondateur du groupe armé « Bouclier côtier »
- Ibrahim Hawija, ancien chef du renseignement syrien
- Ghias Dalla, ancien officier de la 4e Division blindée avec des liens vers le Hezbollah
Ces acteurs semblent impliqués dans les récentes violences qui ont éclaté dans les régions côtières, bastion de la minorité alaouite.
Un nouveau paysage stratégique en formation
Les récents affrontements dans les provinces de Lattaquié et Tartous illustrent la fragilité de la transition.Des cellules insurgées pro-Assad ont attaqué des postes de contrôle et des patrouilles militaires du nouveau gouvernement, provoquant une réponse militaire massive. Le gouvernement syrien a déployé des unités blindées, des hélicoptères et des drones pour localiser et cibler les insurgés.
Cette violence s’inscrit dans un contexte de reconfiguration régionale où :
- La Turquie a joué un rôle déterminant dans la chute d’Assad en soutenant Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et d’autres forces anti-gouvernementales
- Les États-Unis pourraient se désengager de Syrie, créant un vide que la Russie et l’Iran chercheraient à combler
- Le nouveau gouvernement syrien tente d’établir sa légitimité en formant un comité préparatoire de sept membres pour façonner l’avenir du pays
Dans ce contexte volatile, la Russie et l’Iran poursuivent des objectifs différents mais complémentaires.
Signaux faibles à surveiller
Afin de monitorer l’évolution de la situation en Syrie les pistes suivantes doivent être étroitement prises en considération :
- Tensions communautaires durables : Malgré les appels à l’apaisement il existe un risque d’installation d’un cycle de violences sectaires.
- Positionnement des acteurs régionaux : Israël pourrait profiter de la situation pour « redessiner la carte de la Syrie sur des lignes communautaires » tout en voulant se protéger sur ses frontières au nord (plateau du Golan et frontière avec le Liban).
- Réorganisation des loyalistes d’Assad : L’opposition alaouite, bien que « ni organisée ni unie » actuellement, pourrait se structurer en réaction aux massacres pour échapper à la mise en place d’un régime islamiste et une restriction des libertés acquises
- Système d’auto-défense communautaire : Émergence de réseaux d’alerte locaux via Telegram dans les quartiers alaouites (plus de 600 membres pour un seul quartier à Tartous)
- Position du Hezbollah : Le mouvement chiite libanais a démenti toute implication dans les violences, mais sa position reste ambiguë
Dilemme du nouveau régime
Le gouvernement d’Ahmad al-Charaa se trouve donc dans une position intenable, devant à la fois :
- Rassurer la communauté internationale sur sa capacité à protéger les minorités
- Maintenir le soutien de sa base islamiste sunnite
- Contenir les milices théoriquement sous son autorité mais agissant de façon autonome
Cette crise révèle les contradictions fondamentales du nouveau pouvoir syrien, pris entre ses promesses d’unification nationale et la réalité d’un pays profondément divisé sur des lignes confessionnelles et ethniques.
La France quant à elle va une fois de plus faire montre de sa couardise à s’exprimer tant sa puissance diplomatique d’antan est devenue totalement inexistante et nous marginalise dramatiquement au niveau de la communauté internationale. Si l’influence française était forte dans cette région (mandat français en Syrie de 1923 à 1946) elle continue de s’effriter sans discontinuer au fil de ces dernières années.