A l’heure où l’Europe prend enfin conscience du vide sidéral affiché par le niveau de l’industrie de défense européenne force est de constater que la dépendance aux États-Unis touche plus de 50% des pays européens. Avec une remise en route rapide affichée par les leaders d’aujourd’hui en réaction au conflit russo-ukrainien il est néanmoins raisonnable de compter entre 5 et 10 années pour retrouver un seuil acceptable de production et peut-être d’autosuffisance. Encore faudra-t-il espérer que chacun jouera le jeu et limitera voire annulera ses achats chez l’Oncle Sam. 

Dépendance américaine

Selon les données récentes, les États-Unis sont devenus le principal fournisseur d’armes pour les pays européens, avec une augmentation significative de leur part de marché ces dernières années.

À l’échelle des pays européens, les États-Unis ont représenté 53% des importations d’armes sur la période 2020-2024, contre 41% en 2015-2019. Une autre source indique qu’environ 55% des importations d’armes par les États européens en 2019-2023 provenaient des États-Unis, en hausse par rapport aux 35% de la période 2014-2018.

L’Europe est devenue pour la première fois en 20 ans le principal client des États-Unis en matière d’armement, représentant 35% des exportations américaines d’armes sur la période 2020-2024, devançant le Proche et Moyen-Orient (33%).

Certains pays européens sont extrêmement dépendants de l’armement américain, notamment :

  • Les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark
  • La Pologne, qui a reçu près de 3000 missiles américains, plus de 500 véhicules blindés, douze avions et quatre systèmes de défense aérienne ces quatre dernières années

Cette dépendance s’explique en partie par les capacités avancées des équipements américains, notamment en matière de frappe à longue portée, les États-Unis fournissant 45% des exportations mondiales de missiles d’attaque terrestre à longue portée.

Cas particulier du chasseur furtif F-35 Lightning II

De nombreux pays européens ont également commandé des F-35 américains, avec 472 avions de combat en commande auprès des États-Unis fin 2024. Parmi les pays ayant prévu d’acheter ces chasseurs furtifs figurent les Pays-Bas, l’Allemagne, la Pologne, la Roumanie, la Belgique, le Danemark et la République tchèque.

L’acquisition et l’utilisation du chasseur furtif F-35 Lightning II par des nations alliées des États-Unis s’accompagnent de nombreuses restrictions qui limitent considérablement leur souveraineté opérationnelle et technologique.

Restrictions d’accès au code source

La contrainte la plus significative concerne l’accès au code informatique de l’appareil. Les États-Unis ont clairement établi qu‘aucun pays impliqué dans le développement des avions n’aura accès aux codes sources et que toutes les mises à jour logicielles seront exclusivement réalisées aux États-Unis. Cette politique a provoqué le mécontentement de plusieurs partenaires internationaux, dont l’Australie, le Royaume-Uni, le Canada, le Danemark, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège et la Turquie.

Le système Autonomic Logistics Information System (ALIS), fortement centralisé aux États-Unis, pourrait facilement être utilisé pour désactiver les chasseurs dans leur emploi.

Le Royaume-Uni a même menacé d’annuler l’intégralité de sa commande de F-35 sans accès à ce code, sans lequel le pays serait incapable d’assurer la maintenance de ses propres appareils

Dépendance pour la maintenance et les pièces détachées

Les pays utilisateurs sont totalement dépendants des États-Unis pour :

  • Les mises à jour logicielles
  • Les pièces détachées via une chaîne d’approvisionnement mondiale contrôlée
  • La maintenance des systèmes critiques

Cette dépendance soulève des préoccupations concernant la souveraineté opérationnelle en cas de divergence politique avec Washington.

Restrictions sur l’assemblage local

Bien que certains pays aient initialement obtenu la possibilité d’assembler partiellement les F-35 sur leur territoire, ces arrangements peuvent être remis en question pour des raisons de coût et d’efficacité.

Par exemple, le Japon a confirmé qu’il n’utiliserait pas ses installations d’assemblage final nationales pour son prochain lot d’avions de combat F-35, préférant acquérir des appareils importés directement.

Cas particulier de la Turquie

La Turquie illustre parfaitement les risques liés à cette dépendance. Après avoir acquis le système de défense aérienne russe S-400, la Turquie a été exclue du programme F-35 en 2019. Malgré le paiement de 1,4 milliard de dollars, les six F-35 livrés à la Turquie restent stockés à la base aérienne de Luke en Arizona

En 2024, les États-Unis ont indiqué que si la Turquie renonçait à ses systèmes S-300 et S-400, elle pourrait être réintégrée dans le programme.

Implications politiques et stratégiques

Ces contraintes créent une relation de dépendance qui peut avoir des implications diplomatiques majeures :

  1. Le Canada reconsidère actuellement son achat de F-35 dans un contexte de tensions commerciales avec les États-Unis, bien qu’il reste engagé pour les 16 premiers appareils déjà commandés.
  2. Le Royaume-Uni a fait une exception pour les composants du F-35 dans sa suspension partielle des licences d’exportation d’armes vers Israël, craignant qu’une suspension complète « saperait la confiance des États-Unis dans le Royaume-Uni et l’OTAN à un moment critique de notre histoire collective ». 

Cette dépendance technologique et opérationnelle constitue un levier d’influence considérable pour Washington sur ses alliés, limitant leur autonomie stratégique et les exposant à des pressions politiques américaines.

Quelles alternatives européennes 

  • En première urgence la France est capable d’offrir le système de défense aérienne franco-italien SAMP/Tde nouvelle génération à ceux qui achètent des Patriot américains
  • Pour remplacer les chasseurs F-35 américains, l’avion de combat français Rafale est le mieux placé, ce qui pourrait séduire le Portugal qui doit remplacer ses F16
  • La Suède a exprimé sa prudence quant à l’achat de plus d’équipements américains

La transition vers une plus grande autonomie européenne en matière de défense s’annonce donc comme un processus de longue haleine, nécessitant des investissements considérables et une volonté politique forte et unifiée. La route risque d’être très longue et semée d’embuches.

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