La Roumanie traverse une période de turbulence politique sans précédent depuis novembre 2024, quand Călin Georgescu, candidat ultranationaliste quasi-inconnu, a créé la surprise en remportant le premier tour de l’élection présidentielle avec environ 23% des voix. Ce scrutin a été annulé le 6 décembre 2024 par la Cour constitutionnelle roumaine, fait rarissime dans l’Union européenne, suite à des allégations d’ingérence russe.

Accusations d’ingérence étrangère

Les allégations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle roumaine sont au cœur de la crise politique actuelle et reposent sur plusieurs éléments concrets révélés par les services de renseignement roumains. Les autorités roumaines ont mis en garde contre une série d’actions hybrides orchestrées par Moscou. Selon des rapports déclassifiés, une opération sophistiquée aurait soutenu Georgescu via :

  • Une opération d’influence massive sur TikTok: près de 800 comptes soutenant Georgescu seraient liés à une ingérence russe. Ces comptes faisaient partie d’une opération d’influence en ligne à grande échelle orchestrée par un acteur parrainé par un État.
  • Des tentatives de compromission des sites web électoraux, avec des liens établis vers des entités de cybercriminalité basées en Russie
  • Un financement suspect de la campagne : alors que Georgescu avait affirmé n’avoir dépensé aucun argent pour sa campagne, des enquêtes ont révélé des irrégularités dans son financement. Fait troublant : alors que Georgescu avait déclaré un budget de campagne électorale de zéro lei des enquêtes ont révélé un don non déclaré allant jusqu’à 1 million d’euros provenant de tiers.

Escalade judiciaire contre Georgescu

La situation s’est considérablement aggravée en février-mars 2025 :

  • 26 février 2025 : Arrestation et inculpation de Georgescu pour fausses déclarations sur le financement de sa campagne, atteinte à l’ordre constitutionnel, détention d’armes et apologie de crimes de guerre. Des perquisitions ont visé également son entourage, notamment Horațiu Potra, un mercenaire lié à sa sécurité.
  • 9 mars 2025 : Rejet de sa candidature par la Commission électorale pour le nouveau scrutin prévu en mai. La commission a justifié cette décision en indiquant que Georgescu a enfreint les règles démocratiques d’un suffrage honnête et impartial
  • 11 mars 2025 :  Rejet unanime de son appel par la Cour constitutionnelle, l’excluant définitivement de la course présidentielle.

Contexte et conséquences

Ces allégations ont conduit à une série de mesures exceptionnelles :

  • L’annulation complète de l’élection présidentielle par la Cour constitutionnelle, un événement sans précédent dans l’Union européenne.
  • L’ouverture d’une enquête criminelle contre Georgescu, notamment pour communication de fausses informations sur le financement de campagne.
  • Son exclusion de la nouvelle élection prévue pour mai 2025, décision confirmée unanimement par la Cour constitutionnelle le 11 mars.

Il est important de noter que si les documents déclassifiés ne fournissent pas de preuves directes de l’implication de Moscou, ils soulignent l’historique de l’ingérence de la Russie dans les processus électoraux d’autres États. Le Kremlin, par la voix de son porte-parole Dimitry Peskov, a catégoriquement rejeté ces allégations, les qualifiant de complètement infondées.

Cette affaire a provoqué une fracture transatlantique, l’administration Trump considérant l’annulation comme une suppression de la dissidence politique, tandis que plusieurs diplomates européens soutiennent l’indépendance de la justice roumaine.

Déclarations extérieures 

Thierry Breton ex-commissaire au commerce extérieur et démissionnaire en décembre 2024 s’est autorisé, contre toute attente, à prendre la parole sur de nombreux médias à propos du processus de l’élection en Roumanie. Ses déclarations ont suscité de vives controverses dès lors qu’il n’avait aucun mandat officielpour s’exprimer ainsi. Il a même menti en disant que c’est l’UE qui avait joué un rôle dans cette annulation allant même jusqu’à déclarer sur RMC qu’il faudrait rééditer cette action en Allemagne si l’AfD (parti d’extrême droite allemand) remportait les élections. N’est-il pas en train d’outrepasser son champ de compétences ? 

Ces déclarations ont été largement critiquées et ont conduit à des manifestations en Roumanie le 12 janvier 2025, où des milliers de personnes ont protesté contre ce qu’ils percevaient comme une ingérence dans leur souveraineté nationale.

Il est important de noter que, contrairement à ce que ses propos pouvaient laisser entendre, ce n’est pas l’Union européenne qui a annulé les élections en Roumanie, mais bien la Cour constitutionnelle roumaine, par une décision unanime prise le 6 décembre 2024

Des soutiens internationaux se sont également manifestés, notamment Elon Musk et le vice-président américain J.D. Vance qui a fustigé les autorités roumaines « si peur de leur peuple qu’elles le font taire ».

Une société polarisée

La perception des électeurs roumains face aux allégations d’ingérence russe est complexe et révèle une société profondément divisée. L’exclusion de Georgescu a provoqué de vives réactions :

  • Manifestations de ses partisans dans les rues de Bucarest aux cris de « À bas la dictature ! »
  • Affrontements avec les forces de l’ordre : treize officiers blessés lors des protestations
  • Déclarations incendiaires de Georgescu dénonçant un coup direct porté à la démocratie et affirmant que l’Europe est maintenant une dictature, la Roumanie vit sous la tyrannie !

D’un côté, on observe une véritable indignation populaire face aux allégations d’ingérence russe et d’atteinte aux droits démocratiques des Roumains, les événements de 1989 ne sont pas si lointains. Cette réaction s’inscrit dans un contexte historique où la méfiance envers la Russie est profondément ancrée.

De l’autre côté, les partisans de Georgescu considèrent l’annulation de l’élection comme une manœuvre politique visant à écarter leur candidat. Ils sont en colère que leur candidat n’ait pas pu terminer la course au second tour. Cette perception est renforcée par un scepticisme généralisé envers les institutions politiques traditionnelles.

Méfiance envers les institutions

Dans les rues de Bucarest il y a un scepticisme persistant que la décision des juges d’annuler l’élection ait été influencée autant par des motifs politiques que par des préoccupations de sécurité.

Même parmi ceux qui craignaient une présidence de Georgescu et soupçonnent un soutien russe, beaucoup sont désormais troublés par les implications de ce précédent pour la démocratie roumaine

Des griefs sociaux exploités

L’ingérence présumée a réussi en partie parce qu’elle exploitait des frustrations réelles. Comme le souligne Mircea Geoana, ancien chef adjoint de l’OTAN : « Les Russes sont incroyablement habiles. Pourtant, c’est une grave erreur de supposer que c’est uniquement le résultat de l’influence russe. Il existe une multitude de griefs au sein de notre société »

Ces griefs incluent :

  • Une lassitude palpable envers les deux partis politiques dominants
  • Des inquiétudes légitimes concernant l’implication dans le conflit ukrainien
  • Des craintes après plusieurs incidents où des drones russes se sont écrasés sur le territoire roumain

La campagne de désinformation a donc trouvé un terrain fertile dans un contexte de mécontentement social préexistant, ce qui explique en partie pourquoi elle a pu être efficace malgré la méfiance traditionnelle des Roumains envers la Russie.

Situation actuelle et perspectives

Face à l’exclusion définitive de Georgescu, l’extrême droite roumaine a réorganisé sa stratégie :

  • George Simion, chef du parti Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), a annoncé sa candidature le 12 mars, avec l’aval de Georgescu.
  • Une stratégie inédite a été dévoilée : Simion et Anamaria Gavrila (Parti de la jeunesse) se présentent tous deux, avec l’engagement que l’un d’eux se retirera si les deux dossiers sont validés.

Parallèlement, Diana Sosoaca, autre figure d’extrême droite dont le parti SOS România avait recueilli environ 7% aux législatives de décembre 2024, a également été exclue de la présidentielle, la Cour constitutionnelle estimant que ses déclarations étaient contraires aux « valeurs démocratiques ».

Le premier tour de cette nouvelle élection présidentielle est prévu pour le 4 mai 2025, dans un climat extrêmement tendu qui menace la stabilité démocratique du pays.

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